mardi, octobre 15, 2024
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Diane Lebouthillier plaide en faveur d’un contrôle international des populations de phoques

La ministre des Pêches et des Océans (MPO), Diane Lebouthillier, plaide pour un contrôle international des populations de phoques dont elle compare la prolifération à celle des rats. Dans une sortie publique très médiatisée à la fin juillet, elle s’est inquiétée pour l’avenir des pêcheries commerciales en raison de l’absence de prédateurs pour freiner ces voraces mammifères. Son ministère calcule qu’à eux seuls, les quelque 5 millions de phoques du Groenland et phoques gris présents en eaux canadiennes consomment chacun une à deux tonnes de poissons et crustacés par année. Aussi la députée-ministre de la Gaspésie et des Îles réclame-t-elle que la question des espèces invasives, dont les pinnipèdes, soit inscrite à l’agenda de la prochaine Conférence des Nations Unies sur l’océan, qui se tiendra à Nice, en France, en juin 2025.

«C’est clair qu’il faut en parler, a soutenu Mme Lebouthillier, lorsque questionnée à cet effet quelques jours plus tard en marge d’une conférence de presse tenue aux Îles-de-la-Madeleine. Pour moi, c’est une ressource qui se doit d’être exploitée et on ne laissera pas les quelques requins blancs qui se promènent dans le golfe du Saint-Laurent faire le travail pour nous [afin d’en stabiliser les populations]. J’ai bien l’intention de faire de l’économie avec une ressource qu’on peut utiliser à 98 %».

Diane Lebouthillier dit aussi miser sur les communautés autochtones pour qu’elles prennent le leadership du dossier, parce qu’elles ont des «entrées» que n’ont pas nécessairement les allochtones. «Il y a des gens partout à travers le monde qui sont friands des produits provenant des communautés autochtones et je pense que si elles peuvent prendre le leadership avec tout leur savoir en matière de chasse aux phoques, qu’il y a un travail de collaboration qui peut se faire pour permettre de bien développer cette nouvelle économie», soutient-elle.

EMBARGO EUROPÉEN

Parallèlement, le gouvernement du Canada demande à l’Union européenne (UE) d’abroger son règlement qui limite le commerce de produits dérivés du phoque aux seules marchandises d’origine autochtone ou inuite. Cette exemption concernant l’accès aux produits du phoque provenant des communautés autochtones canadiennes a été accordée en 2014, dans la foulée de l’embargo total décrété en 2009. Profitant d’un examen de la Commission européenne qui a cours sur la question depuis mai dernier, Ottawa fait valoir que la mesure s’est avérée inefficace parce que dans les faits, le blocus commercial est perçu «comme une interdiction absolue».

Dans une lettre datée du 6 août adressée au vice-président exécutif du Pacte vert pour l’Europe, relations institutionnelles et de la prospective, la ministre Diane Lebouthillier et cinq autres membres du cabinet Trudeau relèvent que «la dérogation relative aux ‘‘Inuits ou autres communautés autochtones’’ n’est pas suffisamment connue et que cette méconnaissance a une incidence sur le développement économique des communautés inuites/inuvialuites».

Les exportations canadiennes en produits dérivés du phoque en sol européen sont ainsi passées de 5,4 M$ en 2006 à 515 000 $ en 2022. «Les décisions prises par l’UE concernant l’accès au marché du phoque sont déterminantes pour les collectivités côtières rurales et éloignées, où les autres possibilités économiques sont limitées», insiste-t-on.

Aussi le Canada demande-t-il un assouplissement du règlement de l’UE sur le commerce des produits dérivés du phoque afin de permettre dorénavant l’accès des produits issus d’une «récolte éthique et durable» à ses principaux marchés traditionnels d’Europe. Vantant les efforts considérables déployés depuis 2009 pour «confirmer le niveau élevé de professionnalisme et d’humanité dont fait preuve  l’industrie canadienne de la chasse aux phoques, Diane Lebouthillier et ses cosignataires soutiennent notamment que le processus d’abattage en trois étapes, «rapide et sans cruauté», «est aussi humain, sinon plus, que la plupart des autres méthodes d’abattage d’animaux sauvages ou domestiqués pratiquées dans le monde».

DU CONCRET?

Autrement, bien que la ministre des Pêches et des Océans se dise prête à en découdre avec Brigitte Bardot pour défendre ses idées sur la chasse aux loups-marins, son gouvernement risque de ne plus être au pouvoir l’an prochain, lorsque se tiendra la 3e Conférence des Nations Unies sur l’océan, organisée conjointement par la France et le Costa Rica. Dans ce contexte, que propose Diane Lebouthillier dès maintenant, pour freiner la prédation des voraces mammifères? Pourquoi ne met-elle pas en place un programme dédié pour stimuler l’essor de la filière phoque, alors que les promoteurs nous disent se buter plus souvent qu’autrement à une fin de non-recevoir de la part des fonctionnaires sous prétexte qu’il n’y a pas de programme spécifique, justement?

À ce sujet, Mme Lebouthillier croit que le Fonds des pêches du Québec suffit. Elle  en veut pour preuve la contribution de 70 000 $ que son ministère a accordé cet été à la Boucherie spécialisée Côte-à-Côte pour l’acquisition de nouveaux équipements lui permettant d’augmenter sa capacité de production de charcuteries de loup-marin. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), y a lui-même investi    30 000 $. «Ça fait que pour moi, c’est du concret», résume la ministre.

De plus, par voie de courriel, le MPO fait valoir qu’il a versé près de 12 M$ par le biais de ses différents fonds et programmes pour soutenir les promoteurs de l’industrie du phoque depuis 2015. Environ la moitié de ce financement provient plus précisément du Programme de certification et d’accès aux marchés pour les phoques. «Ce programme a financé l’élaboration de systèmes de certification et de suivi afin que les produits du phoque chassé par les communautés autochtones puissent être certifiés pour être vendus dans l’Union européenne», souligne-t-on.

Or Gil Thériault, directeur général de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec (ACPIQ), n’y voit que des opérations marketing alors que l’industrie réclame plutôt des investissements en formation et en infrastructures pour répondre adéquatement à la demande du marché. Il est d’ailleurs d’avis que le MPO serait mieux avisé de soutenir le commerce interprovincial des produits du phoque, plutôt que de perdre «temps, argent et énergies» sur l’embargo européen.

«Les programmes ne sont pas adaptés aux besoins, affirme M. Thériault. On investit dans le marketing quand l’industrie est sur les rails et qu’elle a de la misère à vendre ses produits. Mais demandez à    Réjean Vigneau [copropriétaire de la Boucherie spécialisée Côte-à-Côte] s’il a de la misère à vendre ses produits? Pas du tout! Il débarque 3 000 phoques par année – c’est lui qui a le meilleur produit sur le marché – et il a besoin d’infrastructures et d’accès à la ressource. Écofaune boréale a également un beau projet pour utiliser l’animal dans son entièreté, mais se bute à des programmes inadaptés!»

L’ACPIQ déplore également qu’il soit impossible de vendre la viande de loup-marin produite aux Îles-de-la-Madeleine ailleurs au Canada, parce qu’Ottawa et Québec ne s’entendent pas sur sa certification. Cela fait 20 ans que perdure ce problème, dénonce Gil Thériault, alors que le MAPAQ considère le phoque comme une viande et que le MPO et l’Agence canadienne d’inspection des aliments le gèrent comme un poisson. «Le MPO est obnubilé par l’international, alors qu’on ne peut même pas vendre notre viande à l’Île-du-Prince-Édouard! C’est un exemple du niaisage qui nous empêche d’aller de l’avant!», se désole le dg de l’ACPIQ.

Diane Lebouthillier assure que cette contradiction réglementaire a justement été ajoutée à l’ordre du jour de la réunion annuelle du Conseil canadien des ministres des Pêches et de l’Aquaculture, qui s’est tenue à Charlottetown les 14 et 15 août. «Je laisse le soin aux provinces concernées d’expliquer les mesures qu’elles comptent prendre afin d’harmoniser leur approche», nous indique-t-elle. Son bureau ajoute qu’aucun échéancier n’a été fixé à ce stade-ci, puisque «la ministre Lebouthillier travaille de façon collaborative avec ses  homologues provinciaux, et non à coup d’ultimatums.»

REPÈRE – page 23 – Volume 37,4 Septembre-Octobre-Novembre 2024

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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