Le pêcheur et chasseur de loup-marin Ghislain Cyr, originaire de Grande-Entrée, est récipiendaire d’un doctorat honorifique dans la catégorie Santé planétaire, décerné par la Faculté de médecine de l’Université Laval. Le Madelinot a été honoré de la plus haute distinction universitaire aux côtés de neuf autres personnalités «au rayonnement remarquable et exemplaire», lors d’une cérémonie qui s’est tenue au Centre des congrès de Québec le lundi 17 juin, à l’occasion de la collation des grades 2024.
«La santé planétaire, c’est un vision holistique de la santé, où la santé des écosystèmes est essentielle à la santé humaine et vice versa, explique la biologiste Mélanie Lemire, professeure-chercheure spécialisée en santé environnementale, qui a soumis la candidature de M. Cyr. Puis, Ghislain est un homme qui a à cœur la santé des gens dans son milieu. Pour lui, c’est vraiment important d’aller nourrir les siens, de préserver la culture. Donc c’est une vision holistique de la santé dans ces perspectives de santé physique, de santé mentale, mais aussi de santé collective de nos milieux qui prend en compte l’environnement, le social, la culture et l’économie.»
Mme Lemire souligne que c’est la toute première fois qu’un pêcheur se voit ainsi attribuer un doctorat honorifique. Elle affirme que de par sa passion pour la mer et son réseau local et pancanadien, Ghislain Cyr est devenu un «acteur incontournable» de la recherche scientifique reliée tant au milieu marin, qu’aux domaines de la santé et des sciences sociales. Il a notamment largement contribué à l’acquisition de connaissances du ministère des Pêches et des Océans sur les phoques et, depuis peu, sur les requins blancs qui fréquentent de plus en plus les eaux de l’archipel.
La professeure-chercheure dit également du Madelinot qu’il est le mentor du collectif Mange ton Saint-Laurent!, ayant pour mission d’informer le public québécois sur les différents enjeux scientifiques et sociaux en lien avec les pêcheries et le développement des communautés côtières du Québec maritime. «Quand on veut comprendre des enjeux ou quand on veut faire de la stratégie politique, on appelle Ghislain, soutient-elle. C’est un conseiller d’une valeur inestimable sur tous les défis liés à la consommation des produits du Saint-Laurent et l’alimentation durable.»
«ENCYCLOPÉDIES DE LA MER»
La professeure-chercheure fait aussi valoir que parmi les autres faits d’armes salués par l’Université Laval, figure la contribution de Ghislain Cyr aux travaux de recherche récemment lancés par la docteure Isabelle Goupil-Sormany spécialisée en santé publique, visant à documenter les impacts des changements climatiques sur la santé mentale des pêcheurs et leur capacité de résilience (voir texte en page 22…).
Voyant venir la crise de la crevette qui se profilait en Gaspésie il y a deux ans, c’est le capitaine du BIOCK qui a tiré la sonnette d’alarme, relate Mélanie Lemire. «Il m’a dit : Mélanie, ça va mal. Il y a beaucoup de détresse chez les pêcheurs, et c’est comment ça que j’ai appelé Isabelle pour lui proposer de présenter un projet de recherche avec les pêcheurs de l’Est du Québec. Et aujourd’hui, vous voyez où on en est : la crise bat son plein. Donc, le projet d’Isabelle est arrivé à point nommé et ça, c’est grâce à Ghislain.»
Pour avoir lui-même vécu trois moratoires sur la pêche à la morue, puis les fermetures consécutives des pêcheries commerciales du hareng, du maquereau et plus récemment celle de la plie rouge qui l’a poussé à prendre sa retraite l’an dernier, Ghislain Cyr connaît bien cette détresse de ceux qui perdent leur accès aux ressources halieutiques. Ce qui le chagrine le plus, c’est de ne plus pouvoir être sur l’eau pour observer la nature.
«C’est comme si tu enlevais tous ses outils à un charpentier, expose celui qui a pêché pour la première fois le pétoncle avec son père, à l’âge de 10 ans. J’ai toujours eu la curiosité de vérifier, de comprendre tout ce qui se passait sur l’eau. […] Quand un oiseau plonge ou qu’un poisson saute hors de l’eau, ça me dit quelque chose. C’est un sixième sens qui se développe, une connaissance intuitive.»
Aussi le pêcheur à la retraite malgré lui se fait-il très critique des politiques de gestion du MPO, qui freinent le suivi des ressources et l’acquisition de connaissances lorsque des moratoires sont décrétés sur les pêcheries en difficulté. «Les pêcheurs perdent beaucoup financièrement, ajoute Mélanie Lemire. On s’entend. Mais ce sont aussi des encyclopédies de la mer qui perdent leurs moyens de pêcher. […] Et quand on arrête ces gens-là de pêcher, c’est comme un aîné qui décède. C’est comme une encyclopédie qui meurt, d’une certaine façon.»
UNE GRANDE FIERTÉ
Cela dit, c’est évidemment avec grande émotion et fierté que Ghislain Cyr accueille la prestigieuse reconnaissance de l’Université Laval. «Ma plus grande fierté, c’est d’avoir réussi, avec les scientifiques d’un peu partout, à faire connaître mon milieu, déclare-t-il. Et d’avoir eu à le défendre pour les gens d’ici, à défendre le côté culturel de la pêche et à faire connaître les vrais enjeux de la pêche.»
Il dit aussi souhaiter que la reconnaissance de l’Université Laval pour sa contribution «à la santé et au mieux-être des communautés côtières ainsi qu’à la souveraineté alimentaire du Québec», soit une source d’inspiration pour les jeunes de la relève. «Je pense que ça devrait améliorer les rapports entre les sciences et les gens d’ici. De vivre l’expérience d’être sur l’eau, d’être curieux aussi, je pense que c’est un bénéfice pour la communauté. […] J’espère aussi que la population d’ici et des zones côtières du Golfe puissent en profiter pleinement et s’épanouir dans leur culture.»
RECONNAISSANCE – page 24 – Volume 37,3 Juin-Juillet-Août 2024