L’industrie de la pêche et de la transformation de la crevette nordique continue de vivre des moments difficiles en raison de l’effondrement des stocks du petit crustacé ces dernières années. La saison actuelle ne fait pas exception à la règle et les quantités de crevettes débarquées à quai demeurent très faibles puisque seulement sept crevettiers gaspésiens ont pris le large depuis le printemps. En raison d’une rentabilité difficilement atteignable, les autres ont renoncé à aller en mer, dont certains après un ou deux voyages.
Il ne reste actuellement que trois ou quatre pêcheurs qui poursuivent leurs activités. De l’avis du directeur de l’Office des pêcheurs de crevette du Québec (OPCQ), il n’y aura pas d’autres membres qui vont larguer les amarres d’ici la fin de la saison. Selon Patrice Element, la situation ressemble à ce que ses membres avaient prévu, principalement dans les zones Estuaire et Esquiman, alors que celle de la zone Anticosti est un peu mieux que ce qu’ils avaient envisagé. Sans surprise, la situation dans la zone Sept-Îles est encore pire que ce qu’ils avaient appréhendé.
«Globalement, ça ressemble à nos attentes et peut-être même un peu mieux», estime Patrice Element qui, jusqu’à ce jour, compare les activités de pêche à celles de l’an passé. Même s’il n’avait pas encore obtenu les données de la part des transformateurs au moment de l’entrevue avec Pêche Impact, il soupçonnait que la quantité débarquée depuis le début de la saison puisse être de moins de 400 000 livres. Étant donné les circonstances financières peu enviables, l’Office a d’ailleurs suspendu les cotisations de ses membres.
LOCATION DE QUOTAS
En plus de leur quota individuel respectif, certains crevettiers actifs louent le quota individuel de pêcheurs inactifs. «Sans dire que tous les quotas ont été loués, il y a eu beaucoup de locations qui ont été faites dans Estuaire parce que là, les taux de capture sont intéressants, précise M. Element. À ce que je sache, il y en a eu aussi un peu dans Esquiman et dans Anticosti. Dans Sept-Îles, personne ne va à la pêche.»
Est-ce que la location de quotas individuels les assure de couvrir au minimum leurs frais d’opération? Le directeur de l’OPCQ l’ignore puisqu’il y a plusieurs facteurs à considérer. Mais il sait que les pêcheurs qui prennent la mer et qui ont loué des quotas perdent moins d’argent à poursuivre leurs activités qu’en demeurant à quai.
«Pour les gens qui sont dans Estuaire, la dynamique n’est pas tout à fait la même parce que les coûts directs d’un voyage de pêche sont rentables, élabore-t-il. Par contre, si on inclut les coûts fixes et les autres coûts, je ne suis pas sûr que c’est rentable. Mais il y a quand même moyen de dégager un peu de profit lors d’un voyage dans Estuaire, puis peut-être dans Sept-Îles et dans Anticosti aussi.»
LES DISTANCES PLOMBENT LA RENTABILITÉ
Dans un contexte de rareté de la ressource de plus en plus évident, les distances à naviguer pour accéder à certaines zones de pêche sont un facteur clé sur le plan de la rentabilité des entreprises de pêche. Si la distance représente un coût variable, Patrice Element estime néanmoins que la rentabilité repose beaucoup plus sur les taux de capture.
«Quelqu’un qui part vers Anticosti ou Esquiman et qui va ramasser 25 000 ou 30 000 livres, ce n’est pas payant parce qu’il est obligé de dépenser passablement de carburant pour se rendre au fond de pêche et pour revenir. Ce ne serait pas rentable non plus pour des pêcheurs du Québec qui iraient pêcher dans Esquiman et qui débarqueraient leurs captures au Québec. S’ils pêchent à Esquiman et qu’ils débarquent à Terre-Neuve, c’est moins pire.»
AUCUNE LUEUR D’ESPOIR
Devant la rareté actuelle de la ressource, les crevettiers ne voient poindre aucune lueur d’espoir à l’horizon, de l’avis du directeur de l’Office. «Dans un scénario très optimiste, même si la température de l’eau dans le golfe baissait et que les conditions redevenaient favorables pour la crevette, ça va quand même prendre cinq à six ans, peut-être même dix ans, avant que la biomasse se rétablisse. Dans un scénario réaliste, elle ne se rétablira pas. Il n’y a donc pas beaucoup d’avenir!»
Par ailleurs, considérant le peu de crevettes que peuvent livrer les pêcheurs aux transformateurs, un enjeu demeure. «Pour rester ouverts, les transformateurs dépendent de la crevette de l’extérieur, explique le porte-parole des crevettiers gaspésiens. Ce n’est pas vrai que les usines Pêcheries Marinard de Rivière-au-Renard ou La Crevette du Nord Atlantique de l’Anse-au-Griffon vont rester ouvertes pour transformer les 200 000 à 300 000 livres de crevettes dans l’été au complet! Donc, on dépend du fait qu’elles puissent demeurer ouvertes en achetant de la crevette de l’extérieur. Mais, c’est très aléatoire. Elles ont réussi à en avoir cette année, mais ça ne veut pas dire qu’elles vont réussir à en avoir l’année prochaine.»
De plus, l’achat de crevettes de l’extérieur permet aux usines de conserver leurs employés, diminuant par le fait même l’ampleur de la catastrophe appréhendée pour la communauté, croit M. Element.
GASPÉ-NORD – page 09 – Volume 37,3 Juin-Juillet-Août 2024