mardi, décembre 10, 2024
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Dure réalité pour les crevettiers : la moitié de la flottille est en faillite technique

La pêche commerciale à la crevette est ouverte depuis le 1er avril. Pour la présente saison, la ministre fédérale des Pêches, Diane Lebouthillier, a annoncé le maintien d’une pêche commerciale avec un faible total autorisé des captures (TAC) de 3060 tonnes. Il ne reste plus que deux ou trois crevettiers au large et la moitié de la flottille est en faillite technique.

Plusieurs crevettiers se sont demandé s’il valait la peine de prendre le large, considérant les dépenses élevées d’exploitation telles que les assurances, le coût des permis et du carburant ainsi que les salaires de l’équipage versus les faibles rendements de la pêche obtenus en avril.

Seulement quatre crevettiers sont partis en mer dès le départ, dont deux détenant un permis de cuisson à bord. L’un des quatre, le Viking II, est retourné en cale sèche après huit jours en raison des faibles rendements de la pêche et de l’absence de rentabilité des opérations en mer.

ENTENTE SUR LES PRIX

À la fin avril et au début mai, la majorité des crevettiers du secteur du Grand Gaspé étaient en cale sèche ou demeurés à quai en raison des négociations entre l’Office des pêcheurs de crevette du Québec (OPCQ) et l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), qui représente les intérêts des usines de transformation de Rivière-au-Renard et de l’Anse-au-Griffon pour l’établissement des prix au débarquement. L’arbitrage n’aura pas été nécessaire. Crevettiers et transformateurs ont conclu une entente sur les prix payés au débarquement.

Toutes catégories confondues, les pêcheurs recevront une moyenne de 25 cents de plus la livre par rapport à la deuxième portion de la dernière saison, pour un prix moyen de 1,59 $ la livre. Plus précisément, les prix fixés sont de 1,83 $ la livre pour la grosse crevette, 1,63 $ pour la moyenne et 1,53 $ pour la petite de catégorie 1 et 1,47 $ pour celle de catégorie 2.

«On aurait pu avoir plus, croit Patrice Element, le représentant des crevettiers. Par contre, il y a une limite à ce que les transformateurs peuvent payer parce qu’ils font face à des diminutions de volumes. Mais, ces prix ne permettront pas à la majorité des pêcheurs de prendre la mer.»

Les usines étaient prêtes à payer des prix plus élevés pour s’assurer d’un minimum de matière première. Le directeur général de l’AQIP se réjouit de l’entente. «Il a fallu prendre plus de risque du côté des industriels, mais on est conscient qu’il fallait en arriver là», analyse Jean-Paul Gagné.

ZONES ANÉMIQUES

Une journée de pêche se résume à deux ou trois traits de chalut de cinq heures. Les rendements de la pêche obtenus par les crevettiers dans la zone Sept-Îles sont encore plus catastrophiques que ceux de la dernière saison. «Si on recule d’une dizaine d’années, c’était facile d’attraper 10 000    à 15 000 livres par jour, se souvient M. Element. L’année passée, on parlait de 2 000 à 3 000 livres. Maintenant, les meilleures journées sont de 1 000 livres.»

Si certains nourrissent l’espoir que les taux de capture puissent se replacer dans le courant de l’année, M. Element n’y croit pas. «Il est possible qu’il n’y ait pas beaucoup de pêche dans la zone Sept-Îles, cette année!»

Dans la zone Estuaire, c’est mieux. «Les taux de capture demeurent corrects», indique le porte-parole de l’OPCQ. Dans Esquiman, les prises étaient acceptables au début de la saison, mais elles auraient connu une décroissance subite par la suite. Dans Anticosti, personne n’y était encore allé parce que, même dans les bonnes années, les taux de capture n’étaient pas bons en avril, de l’avis de M. Element.

Selon Patrice Element, la moitié de la flotte est en faillite technique. «L’atmosphère n’est donc pas au beau fixe!» Le dirigeant de l’Office explique que le secteur des pêches est, par définition, cyclique dans toutes les espèces et les catégories. «Que ce soit sur le plan des marchés ou de la ressource, on a de bonnes années et de moins bonnes. Il faut que ça s’équilibre, que ce soit globalement positif sur un horizon de trois, cinq ou dix ans. Dans le cas des crevettiers, il n’y a plus d’espoir. Il n’y a personne qui croit que la biomasse de crevette va se rétablir à court, moyen ou long terme.»

PÊCHE AU SÉBASTE

La pêche au sébaste aurait pu être une option valable pour les crevettiers «si les quotas avaient de l’allure», considère M.  Element. «Il n’y a pas de marché pour écouler des quantités de sébastes suffi-santes pour rentabiliser les activités de pêche et de transformation.» Les pêcheurs de crevette ont accès à seulement 10 % du contingent initial annoncé de 25 000 tonnes.

Au faible volume dont les pêcheurs disposent versus les pourcentages qui sont  alloués à la grande industrie, il leur devient impossible de rentabiliser les investissements et les opérations de pêche, calcule M. Element. «Ceux qui vont pêcher du sébaste sont ceux qui étaient déjà équipés pour le faire puisque personne ne va investir 100 000 $ dans un chalut pour faire du sébaste en sachant qu’on va avoir 70 000 livres par bateau cette année et peut-être deux à trois fois plus dans cinq ans.»

À partir du moment où Pêches et Océans refuse de tenir compte de la situation des crevettiers dans les allocations de pêche au sébaste, il n’y a plus beaucoup d’alternatives, croit le dirigeant de l’organisme de Rivière-au-Renard. «La seule option est un programme de rachat de permis et de rationalisation, soutient M. Element. S’il n’y a pas d’aide, ça va commencer à tomber officiellement.»

Lors des crises du poisson de fond et du homard, les pêcheurs de ces flottilles avaient eu accès, entre autres, à une ressource lucrative comme le crabe des neiges ou la crevette et à un programme de rachat de permis, en plus de programmes d’aide spécifique pour restructurer et rationaliser leur industrie. Les crevettiers sont-ils les grands oubliés ou, sinon, sont-ils traités de façon discriminatoire? Patrice Element demeure prudent dans sa réponse. «Il n’y a pas grand monde qui nous aide, mais à part les homardiers et les crabiers, il n’y a pas grand monde dans le secteur des pêches pour qui ça va bien!»

PORTE DE SORTIE POUR LES USINES

L’approvisionnement en crevettes étrangères congelées devient une porte de sortie pour les deux usines de transformation du Grand Gaspé en raison des résultats catastrophiques obtenus par les crevettiers. «Ce n’est pas là qu’on va faire de l’argent, estime le directeur général de l’AQIP, Jean-Paul Gagné. Mais, il faut garder nos usines en opération.»

L’AQIP a essuyé un refus à sa demande d’aide financière de 1,2 million $ par usine auprès du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec pour la transformation de la crevette congelée provenant notamment de la Norvège et du Groenland.

GASPÉ-NORD – page 9 – Volume 37,2 Avril-Mai 2024

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