Tout indique que la saison de pêche au crabe des neiges du sud du Golfe sera, tout comme celle de l’an dernier, marquée d’une absence d’interaction avec les baleines noires menacées d’extinction. Denis Éloquin, capitaine du G.D. NOËL – un navire nouvellement acquis au Nouveau-Brunswick, modifié pour la pêche au crabe et doté d’une cale à eau pour garder la ressource en vie jusqu’au débarquement – avait lui-même déjà tout capturé son quota en date du 28 avril.
«L’important dans tout ça, c’est d’ouvrir la pêche le plus tôt possible, le 1er ou le 2 avril, dit-il. Parce qu’en raison de l’absence de glace, les baleines vont arriver tôt en mai, à mon avis. On a aussi vu beaucoup de rorquals plus tôt qu’à l’habitude.»
M. Éloquin se félicite surtout de ne pas avoir ressenti la baisse de 29 % du contingent de la grande zone 12. Tandis que les quotas individuels des crabiers traditionnels y variaient entre 220 000 livres et 260 000 livres, cette année, il précise avoir capturé son quota en seulement huit voyages. «Depuis 28 ans que je pêche, c’est la première année que je pêche aussi vite. Huit voyages pour mon quota, je n’ai jamais vu ça! Et en plus, on a été ralentis à l’usine pour éviter de l’engorger», souligne-t-il.
Pour sa part, le capitaine du CAP ADÈLE dont le quota dans la petite zone 12F le long du chenal laurentien est en légère hausse par rapport à l’an dernier, rapportait avoir capturé plus de 50 % de ses prises admissibles en date de la fin avril. «La biomasse est là, le crabe est présent et il de belle qualité, résume Jean-Gabriel Cormier. Les rendements sont en léger déclin au fur et à mesure que la saison avance, mais c’est normal.»
À l’usine chez Fruits de mer Madeleine (FFM), de L’Étang-du-Nord, on se déclare aussi très satisfait du bon déroulement de la saison et de la qualité du produit. Son directeur général, James Derpak, prévoit que la saison de production ralentira progressivement vers la mi-mai, pour se compléter en début juin. Par rapport à l’an dernier, il rapporte, entre autres, une progression de 5 % des débarquements de crabes de catégorie LL, soit de 8 à 10 onces par section. «Dans le Golfe, la majorité des crabes est toujours de catégorie L, de 5 à 8 onces, tandis que les sections LLL de 10 à 12 onces restent limitées, nous informe-t-il. Mais comme on voit un peu plus de LL cette saison, ça aide à sortir le stock. Et on est capable d’aller chercher un meilleur prix, c’est certain, parce que le marché aime beaucoup plus le gros crabe.»
MARCHÉ PLUS FORT
De plus, James Derpak se réjouit de ce que les prix du marché aient progressivement augmenté en cours du mois d’avril, par rapport aux très faibles 2,25 $/lb versés l’an dernier. Au moment d’écrire ces lignes, les prix payés à quai étaient passés de 3,25 $/lb à 3,75 $/lb pour ceux dont le navire est doté d’une cale à glace. Les pêcheurs avec cale à eau reçoivent généralement 25 ¢ de plus la livre. Ainsi, alors qu’on disait les grossistes frileux en début de saison, le dg de FFM constate que la demande s’est lentement améliorée.
«C’est une bonne nouvelle! C’est encourageant, après l’effondrement qu’on a vu ces deux dernières années, affirme-t-il. On commence à voir un rétablissement de la valeur et je trouve que ça arrive à une bonne vitesse. Parce que si les prix montaient trop vite, ça pourrait être dangereux pour le futur. Car c’est le consommateur qui dicte la hausse.»
Or tandis que la plus importante saison de pêche au crabe des neiges du Canada prend son envol en ce début mai à Terre-Neuve, l’humeur du marché pourrait changer du tout au tout, prévient un importateur basé à Boston qui préfère ne pas être nommé. «Jusqu’à présent, la demande n’a pas été vraiment forte à Boston, indique-t-il. Mais il y a aussi peu de produit qui arrive sur le marché, en raison de la baisse de près de 30 % du quota du sud du Golfe. C’est ce qui a permis aux prix offerts à quai de croître un peu. Cependant, tout le monde attend maintenant l’arrivée du tsunami de crabe terre-neuvien.»
Notre interlocuteur explique que l’inquiétude du marché est d’autant plus vive que l’appétit est faible pour le crabe de catégorie 5-8 onces, comptant pour la majorité de la production de Terre-Neuve. «Tout le monde est prudent, poursuit-il. Normalement, les grossistes achètent beaucoup de crabe parce qu’ils pensent que le marché va monter pendant l’été. Mais présentement, il n’y a pas beaucoup d’activité dans les supermarchés. Les grandes chaînes américaines n’achètent que la quantité dont elles ont besoin aujourd’hui. Pas beaucoup plus. Et c’est la même chose avec les distributeurs des États-Unis. Ils achètent juste la quantité dont ils ont besoin pour chaque semaine.»
TRAVAILLEURS ÉTRANGERS
De son côté, Les Pêcheries LéoMar avait complété plus de 92 % de sa production 2024 de crabe des neiges au tournant du mois de mai. «La demande est assez bonne et on n’a pas ressenti de ralentissement. C’est resté stable tout au long de la saison, déclare son président Christian Vigneau. Tout s’écoule normalement. On fait un petit peu affaires avec le Japon, mais la majorité de nos ventes se font aux États-Unis.»
Cela dit, M. Vigneau admet que son usine de Grande-Entrée a eu de la difficulté à opérer à pleine capacité, ce printemps, en raison des nouvelles contraintes du gouvernement du Canada obligeant les travailleurs étrangers temporaires d’origine mexicaine à être munis d’un visa pour entrer au pays. Les délais administratifs encourus ont eu pour conséquence de retarder l’arrivée de près de la moitié de la main-d’œuvre mexicaine attendue. «Ça nous a occasionné un stress énorme, déplore l’industriel. Pour le crabe, on avait demandé 110 Mexicains et on n’en a eu que 61. Malgré tout, avec la main-d’œuvre locale on avait une équipe de 150 personnes, incluant celles affectées aux postes de déchargement. Alors on a pris un air d’aller assez vite et on est quand même content de notre saison. Les employés ont mis tout leur cœur à l’ouvrage pour faire une différence!»
Même son de cloche chez Fruits de mer Madeleine, où seulement 56 des 66 travailleurs temporaires d’origine mexicaine engagés ont effectivement pu entrer au pays. «Ce n’est pas une catastrophe, mais nos volumes quotidiens étaient un peu moins élevés que l’année passée», reconnaît James Derpak. Le DG de l’entreprise de L’Étang-du-Nord admet aussi que certains de ses pêcheurs préfèrent livrer leurs prises à l’extérieur des Îles en début de saison quand les captures sont le plus abondantes, pour ne pas être freinés par la capacité de production limite de son usine. «C’est pour ça qu’on va augmenter notre capacité l’année prochaine, avec notre projet de robotisation», rappelle-t-il. (Pêche Impact, décembre 2022)
Québec et Ottawa viennent d’ailleurs d’annoncer la mise à contribution de divers programmes de développement économique pour soutenir la modernisation des équipements de traitement et de congélation de Fruits de mer Madeleine. L’aide gouvernementale se traduit principalement par des prêts totalisant 6,5 M$, pour un projet global d’environ 9 M$. Ainsi dès le printemps 2025, sa production quotidienne de crabe des neiges passera de 72 000 lbs à 125 000 lbs. Les investissements permettront aussi de doubler sa capacité de stockage en chambre froide.
LE SUD DU GOLFE – page 3 – Volume 37,2 Avril-Mai 2024