L’industrie de la pêche au homard des Îles-de-la-Madeleine a su tirer son épingle du jeu encore une fois cette année, et ce, malgré la faiblesse des captures du début de saison par rapport à l’an dernier (Pêche Impact, juillet 2025). Le manque à gagner de 22 % enregistré au premier tiers de la saison s’est finalement limité à une baisse globale de volume de 4,8 % au terme de ses neuf semaines réglementaires, selon les données préliminaires de Pêches et Océans Canada. Les Madelinots ont ainsi débarqué à quai un total de 15 546 756 livres de crustacés, contre 16 300 575 livres un an plus tôt. Pour ce qui est du prix moyen payé à quai, les données du MPO font état d’un prix de 7,07 $ la livre.
«Avec tous les défis qu’on a eus au début pour répondre à la demande, je pense qu’on a réussi à avoir une année assez positive, résume Ruth Taker, directrice générale de la Coopérative des pêcheurs de Cap Dauphin, à Grosse-Île. Et comme les prises étaient également moins fortes dans les autres secteurs des Maritimes, on n’a pas eu de problème à monter nos prix au fur et à mesure. Le marché a accepté les prix qu’on a voulus.»
James Derpak, DG de l’entreprise Fruits de mer Madeleine, souligne pour sa part que la demande en provenance des États-Unis était tout particulièrement forte, cette saison et ce, en dépit des soubresauts de l’économie liés à la guerre commerciale planétaire déclenchée par l’administration Trump. «Ça nous a un peu surpris au départ, parce qu’on craignait plutôt une résistance de la part des consommateurs, admet-il. Et comme le prix au bateau est basé sur la performance de vente des acheteurs, je pense que c’est un soulagement pour tout le monde!»
De plus, un autre fait non négligeable de la saison 2025 est l’entrée en scène de la nouvelle Coopérative des pêcheurs des Îles, en tant que 7e acheteur représenté par l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP) dans le cadre du plan conjoint de mise en marché du homard des Îles. Approvisionnée par 32 détenteurs de permis de pêche, cette coop a provoqué une nouvelle répartition de la «tarte», comme on dit dans le milieu. Chez Pêcheries LéoMar, par exemple, on a perdu 12 d’entre eux. «Heureusement, on a pu compter sur les approvisionnements de quatre des cinq pêcheurs des Îles qui ont débuté la pêche exploratoire à l’île d’Anticosti, ce printemps. Ils ont eu de très bons débarquements; ç’a aidé à compenser, relève son président, Christian Vigneau. On est content de la saison. Ç’a bien été!»
Autrement, au moment d’aller sous presse, le capitaine du GULF FISHER III, Olivier Renaud, qui préside la nouvelle entreprise d’économie sociale située sur la Pointe de Havre-aux-Maisons, n’était pas encore disposé à dresser le bilan de sa première année d’activité commerciale. Il nous aura quand même assuré en cours de saison que tout se déroulait selon les attentes, voire même mieux.
Pêcheurs satisfaits
Cela dit, Simon Déraspe de L’Étang-du-Nord, qui inaugurait sa carrière en tant que pêcheur propriétaire cette année, est bien fier de ses propres rendements. «On a eu de la mauvaise température au début; puis après ça, une semaine ou deux qui a fait beau; puis après ça, un petit peu de vent encore. Ça été les montagnes russes! Mais ç‘a bien été malgré tout. Je m’étais fixé un objectif et j’ai réussi à l’atteindre. Le prix aussi a été bon. J’espérais au moins 7 $/lb et ça s’est toujours tenu au-dessus. Ça fait que je suis content avec ça!», affirme le capitaine du LAURA MÉLI.
Pour ce qui est de Roberto Bourgeois, qui pêche aussi du côté nord depuis 39 ans dont 25 en tant que capitaine du TRÉSOR DU GOLFE, il calcule que le mauvais temps qui a persisté tout au long du premier tiers de la saison a entraîné une diminution de 11 % de ses prises en bout de piste, par rapport à l’année dernière. «Ç’a commencé faiblement puis ça s’est bien redressé, mais je n’ai pas réussi à reprendre le manque à gagner, commente-t-il. Le prix a compensé un petit peu, alors non, je ne suis pas découragé. Je ne suis jamais découragé! Je suis satisfait.»
Marco Cyr garde lui aussi le moral en dépit du fait que son bateau, l’ÉLYSE T, ait pris feu au quai de la Pointe-Basse au cours de la deuxième semaine de pêche, en raison d’un problème électrique. Heureusement pour lui, un confrère, Vincent Chiasson, capitaine du COBRA, est retourné en mer avec lui après sa propre journée de pêche, afin de lui permettre de relever ses cages, de les boëtter et de les remettre à l’eau pendant trois jours consécutifs, après quoi il a réussi à se trouver un navire à louer, L’ANNIE RAYNALD, pour poursuivre sa saison. Or comble du malheur, cette embarcation a elle-même connu une ratée mécanique au bout de six semaines, ce qui a mené le jeune homme à se rabattre sur le RPPCI, le navire de recherche du Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles, pour sa dernière semaine d’activité. «Il y a une bonne communauté de pêcheurs à la Pointe-Basse, se félicite-t-il. Une belle solidarité. J’ai eu beaucoup d’aide et ç’a très bien été!»
Marco Cyr, qui est capitaine propriétaire depuis seulement deux ans, ne rapporte en fin de compte qu’une légère baisse de captures par rapport à l’an dernier. Il assure toutefois que cette diminution est entièrement attribuable à la météo et non pas à sa série d’épreuves maritimes. «C’est la météo qui fait les prises, pas le bateau, soutient-il. Mais pour ce qui est de l’Élyse T, j’attends toujours après les assurances, cinq mois plus tard. Toutes les réparations se font à mes frais. Ce n’est pas normal! Et oui, ça affecte la rentabilité de ma saison.»
Convention 2025
Par ailleurs, après plusieurs mois de discorde sur l’application des nouvelles règles de cautionnement des débarquements de homard pour protéger les pêcheurs contre tout défaut de paiement de la part des acheteurs, telles qu’imposées par ordonnance de la Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec en juillet 2024, l’OPHÎM et l’AQIP ont finalement convenu d’un accord négocié, le mois dernier. C’est ainsi que les deux parties ont signé la convention de mise en marché 2025 en date du 19 juin, soit à deux semaines de la fin de la saison. Celle-ci a tout particulièrement pour effet de réduire des deux tiers la durée de la caution que chacun des acheteurs doit provisionner pour garantir l’acquittement de ses achats à quai. Plutôt que d’engager des sommes sur un an pour cette couverture établie au prorata de leur historique d’achat respectif, les membres de l’AQIP n’ont plus qu’à s’engager pour la durée de la saison, soit pour les mois de mai, juin et juillet. «C’est plus collé à la réalité», admet Nadine Cyr, DG de l’Office.
D’autre part, les deux parties ont convenu d’explorer de nouvelles avenues qui permettraient de bonifier l’économie de quelques dizaines de milliers de dollars par entreprise qui découle de cette nouvelle mesure. Le DG de l’AQIP, Serge Fortin, explique qu’on songe entre autres à la création d’une mutuelle d’assurance à laquelle tant les industriels que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et l’Alimentation du Québec pourraient cotiser. «Tout comme la Financière agricole offre une protection mutuelle aux agriculteurs, on souhaiterait un programme équivalent de la part du MAPAQ. En réduisant nos coûts pour la protection des pêcheurs, ça nous donnerait une meilleure marge de manœuvre pour investir dans le développement de marchés et la création d’emplois aux Îles», fait-il valoir.
De plus, il est convenu que les deux parties signataires de la convention de mise en marché du homard des Îles aient désormais jusqu’au 15 septembre pour dénoncer les dispositions qu’ils veulent soumettre à la renégociation en vue de la saison suivante. «Comme ça, si on a des accrocs dès la fin de la saison, on a tout l’automne et l’hiver pour en discuter, expose Mme Cyr. Et suivant cette date limite du 15 septembre, on doit avoir une première rencontre de négociation dans les 10 jours suivants. Parce que ce qu’on ne veut surtout plus, c’est de se retrouver au printemps – comme ce fut le cas cette année, à minuit moins une – à renégocier une convention!»
Et donc, est-ce que toutes ces bonnes résolutions parviendront à mettre un terme à la dynamique de quasi perpétuelle confrontation entre les pêcheurs et acheteurs madelinots, pour enfin paver la voie à une saine collaboration? «On l’espère bien! Ça nous coûterait moins cher d’avocat, à nous et aux pêcheurs», conclut à cet effet M. Fortin.
LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 8 – Volume 38,3 Septembre-Octobre 2025

























