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Récupération des engins de pêche fantômes ou abandonnés : des quantités ramenées à terre assez surprenantes

Les casiers à homard faits de bois comptent pour le déchet dominant associé à l’industrie de la capture des Îles-de-la-Madeleine. Une enquête du Centre d’innovation de pêches et de l’aquaculture du Québec Merinov, menée auprès d’une trentaine de pêcheurs madelinots, dans le cadre du Programme fédéral de contribution pour soutenir des solutions en matière de pêche et la récupération des engins de pêche lancé au mois d’août 2019, conclut à un taux de renouvellement annuel moyen d’une trentaine de casiers, sur les 273 auxquels chacun a droit. Si on extrapole à l’ensemble des 325 pêcheurs de la flottille, cela représente 10 000 casiers traités comme déchet d’engin de pêche chaque année, souligne le chercheur industriel Jérôme Laurent.

«Ça représente une vingtaine de conteneurs maritimes de 53 pieds bien remplis par année, expose-t-il. Et si on les mettait bout à bout, ça correspond à la route entre le quai de Cap-aux-Meules et le quai de Pointe-Basse. Ça fait sourire, mais en même temps, ça montre bien l’ampleur du volume et, finalement, du problème à gérer.»

Près de 50 % de ces casiers à renouveler à chaque année sont perdus en mer, rapporte M. Laurent. Les autres sont principalement jetés pour causes de bris ou d’usure. «Les pêcheurs vont aussi renouveler leurs casiers par prévention, note le chercheur industriel, pour ne pas se retrouver à perdre leurs engins à l’eau parce que, par exemple, le cordage est brisé.»

CORDAGES  

De plus, les travaux de Merinov menés en collaboration avec le centre collégial de transfert de technologie en optimisation des procédés de transformation des matières plastiques COALIA, de Thetford Mines, démontrent que la totalité des cordages utilisés par les pêcheurs de homard des Îles peuvent être recyclés. Jérôme Laurent précise qu’il s’agit de l’élément du gréement de pêche qui est le plus renouvelé. «L’aspect intéressant, et ça c’est notre partenaire COALIA qui nous l’a validé, c’est qu’il y a deux types de cordages qui sont en polyéthylène (PE) ou en polypropylène (PP) qui peuvent être   recyclés ensemble. Et je dirais que le potentiel de recyclage est très important parce que ce sont des cordages qui sont encore de bonne qualité et en quantités considérables.»

Cependant, Jérôme Laurent note que les cordages de nylon, qui sont utilisés, par exemple pour le filet maillant ou certains éléments de chalut, sont beaucoup plus compliqués à recycler. Les chercheurs de Merinov n’ont pas pu, non plus, estimer les quantités de cordages renouvelés par les pêcheurs de homard. «Il y avait trop de marge d’erreur dans nos études, parce souvent les cordages brisés sont réparés», dit-il.

Et tandis que les vieux cordages de PE et PP peuvent être exportés à des fins de valorisation, Merinov propose la création d’une table de concertation pour trouver des pistes de réutilisation locales des autres composantes des engins de pêche au homard. On y retrouverait entre autres des représentants des pêcheurs, bien sûr, mais aussi du Comité ZIP, d’Attention FragÎles, de Ré-Utiles et de la Matériauthèque, de même que du Centre de gestion des matières résiduelles de la Municipalité des Îles. Selon Jérôme Laurent, la table de concertation devrait débuter ses travaux en cours d’hiver. «Nous, on peut présenter nos chiffres et nos données, mais les solutions pour traiter ces déchets-là doivent venir des acteurs locaux, affirme le chercheur industriel. Merinov a un rôle de concertation et de coordination à ce niveau-là.»

SOLUTIONS LOCALES  

Ainsi, pour s’assurer de la continuité du projet au-delà du soutien fédéral qui viendra à échéance le 31 mars 2022, le Centre d’innovation de pêches et de l’aquaculture du Québec lui a donné l’acronyme EPAPIR, pour Engins de pêche abandonnés, perdus : innovation et recirculation. Déjà on sait que l’organisme environnemental Attention FragÎles récupère bon an mal an environ 250 casiers à homard usagés, qu’il utilise comme capteurs de sable afin de colmater les brèches dans le milieu dunaire, mais c’est une quantité bien marginale. M. Laurent croit qu’il faudra surtout trouver des solutions pour la réutilisation du bois des cages récupérées. «Au vu de l’ampleur du problème et de l’importance des volumes à traiter année après année, c’est super important que plusieurs initiatives voient le jour pour trouver des solutions», insiste-t-il.

Ainsi, on pourrait en faire du bois d’allumage ou du bois pour les feux dans les campings, suggère le chercheur industriel. Jérôme Laurent constate aussi que certains artistes utilisent les lattes de bois des vieux casiers pour en faire des cadres, pour leurs œuvres. Quant au ciment utilisé pour lester les cages, il en suggère notamment un broyage à des fins d’agrégats d’asphalte.

De son côté, le Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie (RPPSG) a lui-même mis en place, dans le cadre du programme fédéral de récupération des engins de pêche, un système de récupération écoresponsable des vieux casiers à homard faits principalement de broche, mais aussi de bois. Ainsi, plutôt que de laisser leurs cages en fin de vie utile s’accumuler dans la nature, les pêcheurs sont invités à se prévaloir d’un nouveau service de collecte, organisé deux fois l’an.

Jean Côté, directeur scientifique du RPPSG, explique qu’il a conclu une entente avec l’entreprise Sanitaire Duguay de Chandler qui s’occupe ensuite d’en acheminer les divers matériaux de broche, de bois et de béton vers les différentes entreprises intéressées par leur recyclage et leur valorisation. «Pour le métal, c’est plus simple parce qu’il y a une demande chez les ferrailleurs, entre autres, indique-t-il. Mais pour le bois, c’est moins évident; au pire, je dis aux pêcheurs de le brûler.»

En échange du dépôt de leurs casiers aux trois points de collecte disséminés à travers la péninsule gaspésienne, les pêcheurs ont reçu, ces deux dernières années, une somme variant de 30 $ à 60 $ par voyage de 30 cages et plus, selon la distance parcourue. Le RPPSG assumera une partie de cette subvention l’an prochain, quand le programme du MPO viendra à échéance, mais espère que les pêcheurs accepteront par la suite d’en assumer totalement les frais. «On veut en venir à créer une habitude, à développer ce réflexe-là chez les pêcheurs qui, d’ailleurs, apprécient avoir des champs libres autour de leur maison», assure Jean Côté.

ENGINS FANTÔMES

Pour leur part, Les Cultures du Large de Havre-aux-Maisons et la Coopérative des capitaines-propriétaires de la Gaspésie (ACPG) se félicitent d’avoir respectivement développé un système de grappin pour récupérer les structures aquacoles abandonnées et les casiers à crabe perdus en mer. L’aquiculteur Christian Vigneau explique que son grappin muni d’un coupe-câble manipulé à distance, pour libérer de leur ancrage les filières de captage laissés sur le fond marin par Culti-Mer dans la foulée de sa faillite de 2019, lui a permis de récupérer la totalité des quelque 110 filières qui gisaient à 4-5 mètres de profondeur. «Ce sont des filières qui, de temps en temps, pouvaient monter à la surface et pouvaient être dangereuses pour la navigation et auraient pu nuire, aussi, à l’empêtrement des mammifères marins. Puis, après avoir tout séché, nettoyé et démêlé, nous avons un taux de récupération de 95 % sur un objectif initial de 80 %», se réjouit-il.

Et alors que M. Vigneau n’exclut pas la possibilité d’offrir ses services pour le nettoyage d’autres sites aquacoles ailleurs dans les Maritimes, l’ACPG espère obtenir du financement pour poursuivre le nettoyage des fonds marins, afin de les débarrasser des engins de pêche fantômes, au-delà de l’échéance de l’initiative du gouvernement fédéral. Son directeur général Claudio Bernatchez fait état de près de 11,5 tonnes métriques de gréements sortis de l’eau en 120 jours d’expédition dans la zone 12 de pêche au crabe des neiges.

«Il s’est installé une saine compétition entre les pêcheurs qui ont participé au projet, raconte-t-il; on parle de neuf équipages en 2020 et de 12 cette année, et avec le succès de l’opération et l’expertise que nous avons développée, on est motivé à en faire encore plus, fait valoir M. Bernatchez. Nous avons fait la démonstration que notre système fonctionne bien et il reste encore du travail à faire dans la zone 12; les gars sont vraiment désireux d’en ramener le plus possible sur terre.»

Claudio Bernatchez ajoute que son organisation travaille en collaboration avec Merinov, COALIA et le Centre de tri de Grande-Rivière, pour disposer adéquatement des engins de pêche récupérés.

ENVIRONNEMENT – pages 35 et 36 – Volume 34,5 Décembre 2021-Janvier 2022

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helene.fauteux@icloud.com'
Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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