vendredi, décembre 13, 2024
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Reprise imminente de la pêche au sébaste : des pêcheurs madelinots s’y préparent à grands frais

Les pêcheurs madelinots Denis Éloquin et Marco Turbide se préparent à grands frais pour la reprise de la pêche commerciale au sébaste dans l’Unité 1 du golfe du Saint-Laurent. L’espèce, dont la biomasse est estimée à une valeur sans précédent de 3,2 millions de tonnes métriques, compte pour plus de 90% des organismes vivant dans les profondeurs du Golfe. Aussi, les deux capitaines de pêche semi-hauturière s’attendent à ce que la ministre des Pêches et des Océans, Joyce Murray, annonce très bientôt pour la saison 2024, la levée du moratoire imposé sur la pêcherie depuis 1995.

«Si elle n’ouvre pas en 2024, ça n’aura plus de sens, affirme Denis Éloquin. La ministre n’a aucune raison de ne pas ouvrir la pêche. Le poisson est là, on est prêt. C’est sûr qu’il manque encore un gros morceau : les acheteurs. Mais les acheteurs ne prendront pas position tant qu’on ne saura pas ce qu’on peut pêcher, quand on peut pêcher et combien on peut pêcher. C’est ça la question qui tue. En ayant un quota, les usines vont pouvoir se positionner pour acheter du sébaste. C’est un poisson qui se vend très bien en Europe et le prix est intéressant.»

En prévision de cette relance, M. Éloquin calcule avoir investi environ 5 millions $ ces dernières années, en faisant notamment l’acquisition d’un second navire, l’AVALON   VOYAGER II, et en faisant agrandir son JEAN MATHIEU, pour le faire passer de 65 à 79 pieds de longueur. Ce dernier a tout récemment été doté d’un système d’enrouleur de chalut fabriqué sur mesure au chantier Aspirault de Rivière-au-Renard. Il a la particularité d’être accompagné d’un mécanisme de tri du poisson qui tombe dans des bacs transportés par convoyeurs vers la cale du navire. «C’est tout nouveau, fait valoir celui qui pêche depuis plus de 40 ans. Ça permet d’éviter de laisser le poisson sur le pont et d’avoir une meilleure qualité de poisson, parce que les hommes n’auront pas à le pelleter dans la cale. Ils vont tout simplement l’attendre dans la cale où il va tomber avec la chute.»

EXPERTISE EUROPÉENNE

Le capitaine du JEAN MATHIEU dit s’être inspiré des dispositifs existants à bord des plus gros bateaux de pêche, mais dont il a réduit l’ampleur pour ne pas être trop encombré sur le pont du navire lorsqu’il est à la pêche au crabe des neiges. «On l’a essayé et ça fonctionne vraiment bien»,assure-t-il. Du coup, le bateau est également équipé d’un nouveau chalut de fond pouvant être converti au semi-pélagique, assorti d’un système de monitoring Marport conçu en Islande.  M. Éloquin parle d’un investissement global de 500 000 $. «Le système Marport va me permettre de bien positionner le bateau [par rapport au courant], d’économiser du carburant et de ne pas pêcher pour rien, parce que tu vois en direct le poisson qui rentre dans le chalut, grâce à des capteurs. Et ça va nous éviter, aussi, de trainer trop lourd en réduisant la longueur des câbles. Parce qu’on s’est aperçu qu’on mettait beaucoup trop de câbles dans la mer; que c’était inutile.»

Denis Éloquin a d’ailleurs effectué une mission exploratoire en France en cours d’hiver, en collaboration avec Merinov et l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER) basé en Bretagne, pour voir ce qu’il s’y fait de mieux en matière de chalutage. «Les techniques de pêche française sont beaucoup plus évoluées, affirme le pêcheur. Ils sont rendus à utiliser l’intelligence artificielle pour voir la grosseur du poisson avec des caméras. Mais je me rends compte que ce n’est pas de quoi qui va arriver ici de sitôt parce qu’on n’est vraiment pas rendus là.»

M. Éloquin admet néanmoins qu’il pourra tirer profit de l’expertise européenne, notamment en ce qui concerne le contrôle des panneaux de chalut pour en optimiser les rendements.

CONSTRUCTION NEUVE

Pour sa part, Marco Turbide est à se faire construire, au coût de huit millions $, un bateau flambant neuf spécifiquement conçu pour le sébaste. Ce navire d’acier de 90 pieds de long et de 28 pieds de large sera doté d’équipements qu’il qualifie de «super avancés pour la qualité». Le capitaine du MARC-OLIVIER et du ANNIE RAYNALD, sur lesquels il pêche respectivement le crabe et le homard, entre autres, explique que sitôt que le poisson sortira de l’eau, il tombera dans un vivier où il trempera dans une solution spéciale pour en préserver la couleur rouge et éviter son oxydation à l’air libre. «Puis, ensuite de ça, on va le transférer dans la cale dans des bacs isothermiques remplis de slush, le slurry ice qu’on appelle [une glace liquide réfrigérante], qui va garder le poisson intact. Il ne sera pas compacté et sa qualité restera optimale.»

M. Turbide dit être influencé par les plus récentes pratiques de pêche au sébaste qui ont cours dans les secteurs de Glace Bay et Louisbourg, sur la côte atlantique du Cap Breton, en Nouvelle-Écosse. De plus, il croit que la pêcherie du Golfe devra s’adapter au fait que, selon les constats du MPO, les cohortes 2011-2013 qui en supporteront la relance présentent un potentiel de croissance réduit et atteignent la maturité sexuelle à des tailles plus petites que les fortes cohortes des années antérieures. «J’ai misé beaucoup monétairement pour obtenir une qualité supérieure pour développer le nouveau marché, qui sera axé sur un produit rond, avance-t-il. À mon avis, on fera moins de filets qu’auparavant parce que le poisson ne grossit pas. Pour trouver une solution au problème, pour percer le marché du poisson rond, ça va dépendre de la qualité. Et je pense que c’est un bon produit d’avenir.»

Le nouveau navire de Marco Turbide est prévu sortir du Chantier naval Forillon de Gaspé au printemps 2024. Le pêcheur de père en fils raconte qu’il avait 16 ans, la dernière fois qu’il a pêché le sébaste à bord du HAVRE-AUBERT, de la flotte hauturière de Madelipêche, et dont son oncle Louis-Henri Turbide était le capitaine. «Je pense que j’étais dans les dernières pêches du HAVRE-AUBERT, avant que ça ferme, se remémore-t-il. Mon père le pêchait aussi, la famille de mes oncles l’ont pêché et pour moi, c’est un rêve de poursuivre. De le faire moi aussi, à mon tour. J’ai connu l’épopée du ‘’rouge’’ et, [une génération plus tard], quand j’ai vu la cohorte de 2011, les données étaient tellement bonnes, que l’intérêt s’est réanimé et que j’ai décidé de prendre le risque de me bâtir un bateau en conséquence.»

D’ailleurs, le gestionnaire de Madelipêche, Paul Boudreau, partage l’analyse de Marco Turbide sur le nouveau marché du sébaste. «Les attentes du marché traditionnel [pour des filets de sébaste] ne sont pas les attentes du marché à construire, parce que le poisson est plus petit qu’il ne l’était auparavant et qu’il ne viendra pas plus gros, souligne-t-il. Et donc, il se vend des sardines, on devrait bien être capables de vendre du poisson rouge plus petit!»

MARCHÉ DE GROS VOLUMES

À cet effet, M. Boudreau s’attend à ce que les pêches expérimentale et indicatrice de l’été, de l’automne et de l’hiver 2023 servent à «tester le marché» du sébaste. Mais encore faudra-t-il que l’industrie obtienne d’ici là des garanties d’allocations suffisantes pour lorsque le moratoire sera levé, afin de justifier des investissements en ce sens. «Tant que les gens ne sauront pas ce qu’ils auront comme contingent de sébaste à pêcher, ils ne pourront rien faire. On ne peut pas investir dans les équipements d’usine sur la base de suppositions», affirme le comptable agréé de profession.

Paul Boudreau prévient par ailleurs que le marché du sébaste sera un marché «de gros volumes». De plus, il croit que les pressions exercées par les pêcheurs des flottilles côtières pour l’obtention de 50 % du contingent global du Golfe risquent de diluer l’offre. «Le sébaste, c’est une pêche de volume et les gens qui sont intéressés par ce marché-là, ils nous demandent combien de conteneurs on peut leur envoyer par semaine. Ils ne nous demandent pas combien de livres qu’on peut envoyer. Ce sont des gens qui, pour développer des marchés, veulent être assurés d’un approvisionnement constant et important.»

Madelipêche, rappelle son gestionnaire, détient une part traditionnelle de 25 % du quota global de sébaste du Golfe. «Mais si tu divises les quotas [historiques] en tout plein de petits quotas, quel industriel va être intéressé à investir des millions dans le développement de marchés et le développement d’équipements? Il faut avoir des volumes qui justifient une opération. Et les pêcheurs, s’ils n’ont pas les volumes qui  intéressent les industriels, ne pourront pas faire grand chose avec, à part être condamnés au marché de la boëtte sans valeur ajoutée», conclut M. Boudreau.

COMITÉ CONSULTATIF

Au moment d’aller sous presse, le MPO examinait toujours les commentaires des membres du comité consultatif sur le sébaste (CCS) qui avaient jusqu’au 3 mars dernier pour donner leur avis sur le maintien de  l’approche de gestion 2022-2023 axée sur les pêches indicatrice et expérimentale, pour la saison de gestion 2023-2024. «Une décision sur la saison de gestion 2023-2024 est attendue prochainement», nous informait le cabinet Murray par courriel.

La prochaine réunion du CCS sera convoquée lorsque la ministre aura pris une décision sur l’accès et l’allocation pour le sébaste de l’Unité 1. La date et le lieu de cette réunion ne sont pas encore fixés.

LES POISSONS DE FOND – pages 14-15 – Volume 36,2 Avril-Mai 2023

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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