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La valeur des débarquements de homard a atteint le chiffre exceptionnel des 100 millions $

Pour leurs captures de la neuvième et dernière semaine de la saison de pêche 2021, les pêcheurs de homard des Îles-de-la-Madeleine ont reçu un prix record de 11,03 $ la livre. En fait, selon les données de l’Office des pêcheurs de homard, la valeur à quai n’a cessé d’augmenter tout au long de la saison, à l’exception d’une baisse de 0,02 $ la livre entre la première et la deuxième semaine. Globalement, la moyenne pondérée du prix payé au débarquement a été de 8,53 $ la livre. Il s’agit d’une hausse de 72 % par rapport à la saison 2020.

Un bilan que le directeur général de l’Association québécoise de l’industrie de la pêche (AQIP), Jean-Paul Gagné, qualifie d’exceptionnel. «On peut dire que c’est le terme à employer parce qu’on a versé plus de 100 500 000 $ en neuf semaines, dit-il. Ça commence à être des sous! C’est vraiment hors de l’ordinaire et en même temps cette année ça fait l’affaire des deux parties.»

Pour Pascal Chevarie, président de l’Office, cette hausse des prix versés à quai compense largement la diminution de 11 % des captures enregistrées cette année. Elles totalisent 11 903 236 livres, contre 13 414 322 livres en 2020. «Au niveau des prises, on a quand même eu une bonne saison, assure le capitaine de la MER DU NORD. Ça ne peut pas toujours être des années record. Un moment donné, il faut que ça baisse pour remonter; on doit s’attendre à cela.»

TAUX DE PROTÉINES ET BALEINES

Présence de capelan sur les fonds de pêche et vents dominants de l’est sont des hypothèses soulevées pour tenter d’expliquer la baisse des rendements 2021. L’océanographe Robin Bénard, de Merinov, rapporte aussi que le taux de protéines des crustacés était supérieur en début de saison à ce qu’il était au cours de la même période l’an dernier. Le scientifique est coresponsable du projet de développement et de mise en œuvre d’un outil d’aide à la décision pour l’ouverture de la saison de pêche au homard de l’archipel, pour le compte du Rassemblement des pêcheurs et des pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI). Sur l’échelle de Brix, qui utilise une solution pure de saccharose comme référence, ce taux variait entre 9,4 et 9,6 au cours des deux semaines précédant la mise à l’eau des cages, contre 8,1 à 8,3 en 2020. Et, dès les semaines 6 et 7, il était déjà d’une moyenne de 13 chez certains individus, ce qui signifie que la ressource était prête à muer.

«Quand le homard enclenche sa mue, il peut devenir moins capturable étant donné que sa principale activité sera de produire sa nouvelle carapace, expose M. Bénard. Et c’est clair qu’il ne s’alimente pas durant cette période-là. Mais je ne suis pas prêt à dire que le haut taux de protéine du début de saison ait affecté la «capturabilité», parce que le homard cherche à s’alimenter tant qu’il peut, jusqu’à ce qu’il soit prêt à muer. Et on constate que la semaine 1, c’était la meilleure semaine en termes de débarquements.»

De son côté le président du RPPCI, Charles Poirier, pointe du doigt la fermeture d’un important secteur de pêche, pendant deux semaines en début de saison, suite à l’observation de deux baleines noires menacées de disparition au large de la Pointe de l’Est. Cette fermeture, sur une superficie totale de 1 890 km², a affecté près du tiers de la flottille de 325 homardiers madelinots. «Ça a changé la donne parce qu’un grand nombre de pêcheurs a dû quitter les fonds les plus achalandés et encore très, très bons en productivité, souligne le capitaine du BAY CATCHER de la Pointe-Basse. Et quand on y est retourné deux semaines après, c’était trop tard; le homard s’était rapproché de terre.»

Pour l’an prochain, le président du RPPCI appelle d’ailleurs à un changement du protocole de fermeture lié aux signalements de baleines. Il plaide pour une récurrence des observations avant que le ministère des Pêches et des Océans n’émette un avis de fermeture. «On a fermé et les baleines étaient parties, raconte Charles Poirier. Nos casiers étaient là quand les baleines sont passées et un coup qu’elles étaient parties on a fermé le secteur. Si on revoit une baleine deux, trois jours après, oui, on peut fermer pour la protéger. Mais ça ne donne rien de fermer quand elle est partie.»

DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS

D’autre part, l’AQIP amorce une étude de marché pour sonder l’intérêt des consommateurs ontariens, en particulier ceux de Toronto, pour le homard des Îles-de-la-Madeleine. L’étude est conduite par la firme montréalaise Nielsen, spécialisée en comportement de clientèle, en collaboration avec l’entreprise de commercialisation et marketing Papilles, de Québec. Jean-Paul Gagné parle d’un projet de 700 000 $ sur deux ans, incluant le volet publicitaire.

L’objectif est de détourner le homard de l’archipel madelinot des marchés de Québec et Montréal, plus avantageusement occupés par celui de la Gaspésie en raison de sa proximité. Le projet est mené de front avec l’Office des pêcheurs de homard, indique M. Gagné. «Autant les pêcheurs que les acheteurs réalisent que si tout le monde s’en va sur le marché de Montréal, les prix vont baisser, dit-il. Il va y avoir trop d’offre pour la demande.» Le président de l’Office fait aussi remarquer qu’il est important pour l’industrie du homard des Îles de réduire sa dépendance du marché américain. «Par exemple, si t’es juste sur le marché des États-Unis et qu’un moment donné il se décide de ne plus acheter à cause des baleines, où est-ce que tu vas? C’est important de se diversifier, insiste Pascal Chevarie. On n’a pas le     contrôle sur les baleines, mais on peut avoir le contrôle sur nos marchés.»

Or, pour atteindre efficacement le marché de Toronto, l’AQIP et l’Office sont d’avis que l’allongement de la piste principale de l’aéroport de Havre-aux-Maisons est indispensable afin d’accueillir les gros porteurs commerciaux à forte capacité cargo. Le dg de l’AQIP soutient que le momentum électoral fédéral est propice à la relance du dossier, qui fait du surplace depuis plus de 40 ans. Le maire Jonathan Lapierre croit à ce propos que le front commun des pêcheurs et des acheteurs madelinots pèsera lourd dans la balance.

«La dernière fois qu’on a mené une offensive auprès du ministre des Transports de l’époque, Marc Garneau, il nous avait tout simplement répondu que la piste répondait aux normes de sécurité de Transports Canada et que s’il y avait des demandes ou des besoins précis qui justifiaient son allongement, il serait prêt, à ce moment-là, à le regarder, fait valoir M. Lapierre. Donc, la nouvelle collaboration entre les pêcheurs et les industriels semble de bon augure en ce sens qu’il y a enfin un besoin qui est établi. Et nous, notre mission, c’est de rédiger un argumentaire basé sur les besoins de l’industrie et qui démontre au gouvernement canadien que le non investissement sur l’allongement de la piste freinerait le développement économique des Îles et freinerait l’effervescence dans le secteur des pêches.»

Pour sa part, Pierre Déraspe, directeur général de l’usine Fruits de Mer Madeleine à l’Étang-du-Nord, s’attend à ce que l’étude de marché de l’AQIP examine également la pertinence de construire un vivier à Québec ou Montréal, pour faciliter le transport du homard vivant des Îles vers l’Ontario. Toronto, fait-il remarquer, est présentement approvisionnée en homard madelinot par la route depuis Boston. «C’est que sur la côte est des États-Unis, ils sont bien équipés en viviers et ils achètent du homard du Québec pour le réacheminer vers l’ouest canadien par après. Et la route Boston-Toronto se fait bien, dans des délais raisonnables et à coût abordable, affirme M. Déraspe. Alors, j’ai bon espoir qu’on trouve la bonne solution en matière de logistique de transport pour développer le marché de l’ouest et que ça va être bénéfique pour le homard des Îles.»

LES ÎLES-DE-LA-MADELEINE – page 12 – Volume 34,4 Septembre-Octobre-Novembre 2021

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Hélène Fauteux
Hélène Fauteux est diplômée en communications et journalisme de l'Université Concordia. Établie aux Îles-de-la-Madeleine depuis 1986, elle a développé une solide expertise en matière de pêche et de mariculture.
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