mercredi, avril 24, 2024
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Manger notre Saint-Laurent: redonner leur juste place aux produits marins

Depuis environ un an, le projet Manger notre Saint-Laurent récolte des données partout au Québec pour envisager des actions permettant de mettre en valeur les ressources comestibles du Saint-Laurent.

Trois universités mettent la main à la pâte pour ce vaste projet de recherche, soit l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Rimouski. Sous la supervision d’une importante équipe de chercheurs dirigée par Mélanie Lemire, plusieurs étudiants à la maîtrise font également partie du projet, ainsi que des chefs cuisiniers et plusieurs partenaires dans la communauté.

La chercheure en nutrition de l’Université de Montréal, Marie Marquis, a accordé une entrevue à Pêche Impact pour dresser un portrait du projet. Celle-ci rapporte que Manger Notre Saint-Laurent a débuté l’an dernier par une phase de collecte de données sur le terrain dans trois lieux ciblés: Cap-Chat, Sainte-Thérèse-de-Gaspé et les Îles-de-la-Madeleine. L’équipe est allée à la rencontre d’élus, de citoyens, d’organismes communautaires, d’acteurs du domaine de la santé publique et de pêcheurs afin de déterminer quelles sont les espèces du fleuve Saint-Laurent à valoriser et établir des cibles pour la poursuite de la collecte de données. L’objectif final: valoriser les ressources comestibles comme les poissons, les fruits de mer, les algues et les plantes du littoral.

Que mangent les Québécois?

Suite à une première rencontre avec les acteurs du milieu, Manger notre Saint-Laurent a lancé un grand sondage à l’échelle provinciale afin de connaître les habitudes des québécois en lien avec les produits du fleuve. «Dans ce sondage, on voulait savoir s’ils étaient capables de reconnaitre les espèces, s’ils vont à la pêche, s’ils ont une relation avec les pêcheurs, quels sont leurs besoins en information à l’égard des ressources, s’ils ont de mauvais souvenirs en lien avec la consommation des produits du fleuve. De manière générale, on peut dire que les poissons ne sont pas un mets qui se retrouve souvent dans l’assiette des Québécois», raconte Marie Marquis.

Suite au sondage, les données ont été colligées par région administrative. Un second questionnaire a été adressé à la population Malécite de Viger pour voir quelles ressources pêchées par la communauté pourraient être valorisées, mais les résultats de ce sondage sont à venir.

Le poisson inconnu

Marie Marquis relate que selon les résultats obtenus, les produits du Saint-Laurent n’ont plus une place de choix dans les assiettes, souvent par manque de connaissances. «Dans le grand sondage national, les québécois nous ont demandé des recettes , ils voulaient en savoir plus à l’égard des valeurs nutritives des ressources du fleuve, leur rôle sur la santé, la présence ou non de contaminants. Les Québécois veulent apprendre des chefs comment transformer, faire un filet, comment faire des recettes bonnes au goût. Ils nous ont témoigné que même s’il y a beaucoup de ressources disponibles, ils veulent trouver dans un endroit centralisé des recettes simples d’autrefois. Les chefs vont transmettre les recettes les plus populaires, on va essayer de les moderniser avec quelques ingrédients locaux tout en les gardant simples. Mais on constate aussi que les Québécois sont en perte de compétences culinaires. Les gens ne sont pas capables de reconnaitre visuellement les poissons, ils les achètent probablement en filets, ils sont très peu à savoir utiliser les algues et ils sont rares à être capable de reconnaitre la fraicheur des produits. Aux Îles-de-la-Madeleine la population a cette expérience, contrairement à la majorité des Québécois.»

La ressource mal-aimée

Mme Marquis indique que plusieurs personnes sondées ont rapporté avoir de mauvais souvenirs en lien avec la consommation de poisson, notamment les odeurs. «Il n’y a pas beaucoup de produits alimentaires où on parle des odeurs. Si quelqu’un fait cuire du poisson en milieu de travail, il va habituellement s’excuser auprès de ses collègues. Il y a ça dans notre culture, de dire que le poisson sent mauvais», rapporte-t-elle.

L’offre alimentaire variée, l’horaire des parents et le pouvoir de négociation des enfants joue un rôle aussi, selon les résultats, dans le choix de mets, selon Mme Marquis: «Aujourd’hui, les enfants vont peut-être préférer une pizza congelée à un pâté de poisson. Ils ont une capacité de négociation. De plus, la réalité des ménages est différente. Avec la conciliation famille-travail, on n’a pas développé toutes les compétences nécessaires pour mettre en filets, cuisiner et conserver le poisson. Avec la rareté de temps, les ménages se dirigent souvent vers des produits faciles d’accès et transformés. »

Une étape de plus sur le terrain

Suite au grand sondage national, l’équipe a rencontré différentes catégories de personnes sur le terrain. Aux Îles-de-la-Madeleine, des grands-parents et parents d’enfants de moins de 12 ans ont été rencontrés. «On voulait savoir s’il y avait une transmission des connaissances nutritionnelles entre les générations ou plutôt un effritement», affirme Mme Marquis.

À Sainte-Thérèse-de-Gaspé, des personnes âgées ont été interrogées. «On voulait voir la relation qu’ils avaient avec la pêche autrefois et quel est le regard qu’ils portent sur les ressources aujourd’hui», dit la chercheure.

À Cap-Chat, ce sont les pêcheurs qui ont été au cœur des discussions. «On voulait connaitre leur quotidien et évaluer dans quelle mesure ils étaient intéressés à partager leur savoir avec les citoyens. On a réalisé qu’on connait très peu le métier de pêcheur dans le domaine agroalimentaire», soulève-t-elle.

Le Saint-Laurent a longtemps constitué une banque alimentaire pour les communautés. Aujourd’hui, la grande majorité des ressources est exportée et ne passe pas par l’assiette des Québécois, déplore Marie Marquis. Selon elle, «s’il n’y avait pas eu ces produits [du fleuve autrefois] qu’on donnait, les gens auraient connu une insécurité alimentaire. Au quai, on leur donnait des produits, à la sortie d’usine, ils ramassaient les têtes de morues. Ces ressources sont aussi associées à des souvenirs douloureux de pauvreté.»

La réflexion sur une réappropriation des ressources est donc ouverte pour que les produits du fleuve puissent de nouveau alimenter les communautés locales. «On se demande comment faire pour qu’une partie soit valorisée pour les gens en contexte d’insécurité alimentaire. On se demande aussi comment faire pour que les générations qui grandissent soient capables de reconnaitre les produits, pratiquent davantage d’autocueillette de pêche. On n’a pas les réponses», rapporte Mme Marquis.

Parallèlement à cette réalité, les ressources sont toujours abondantes, mais quitte pour ailleurs, rappelle Marie Marquis: «On nous a parlé d’une abondance de sébaste à anticiper d’ici deux ou trois ans. Il faut qu’il arrive dans l’assiette des Québécois. Il devrait percer le marché institutionnel, celui des hôpitaux, des écoles.»

Des savoirs à transmettre

«Mise en conserve, séchage, salage, on utilisait toutes les parties comestibles du poisson… ces savoirs ont été perdus. Certains maintiennent des corvées de transformation quand les grands-parents sont là. On trouve qu’il est important de trouver des façons de valoriser ce savoir, lance la chercheure. Celle-ci poursuit: Même chose pour les pêcheurs. Les savoirs associés au métier sont méconnus: les risques pris dans le passé, les enjeux financiers pour assurer une relève. Aujourd’hui, on veut savoir où on a le droit de pêcher, comprendre pourquoi certaines zones sont fermées à l’autocueillette, apprendre à pêcher, aller chercher des coques. C’étaient des activités familiales qui ont été oubliées dans plusieurs familles.»

En parlant de familles, Marie Marquis mentionne: «On a posé la question aux familles, à qui revient la responsabilité? Aux écoles? Aux services de garde? Aux familles? La réponse est un peu tout ça. Il y a un partage de responsabilités nécessaire pour la transmission aux générations à venir. Il faut comprendre la pêche, la transformation industrielle, l’importance de la main-d’œuvre immigrante.»

Marie Marquis va encore plus loin: «L’industrie de la pêche et de la transformation ont un rôle à jouer aussi dans la transmission des connaissances. On pourrait espérer qu’une certaine quantité des produits se dirigent vers les cuisines communautaires locales. Il pourrait y avoir des façons de favoriser un rapprochement entre les communautés et les pêcheurs. Ceux-ci se sont dits intéressés à établir des liens. Les Québécois nous ont dit qu’ils aimeraient avoir des criées comme avant. Les pêcheurs seraient prêts à mettre ça de l’avant et à parler de leur métier pour préparer une relève», rapporte-t-elle.

Se réapproprier le garde-manger

Une autre phase du projet Manger notre Saint-Laurent vient de se terminer. L’équipe de recherche est retournée dans les communautés pour présenter les résultats des sondages. Le public, les élus et les participants étaient invités à réagir aux données, ce qui a permis la préparation d’une prochaine étape.

En décembre, le collectif de recherche devra statuer sur l’orientation à donner au projet afin d’aller chercher du financement pour développer des outils concrets. D’ici là, les idées sont nombreuses et variées.

Parmi les hypothèses avancées, il y a celle d’une exposition muséale virtuelle itinérante et évolutive en partenariat avec Exploramer. «Cette exposition pourrait mettre en évidence les pêcheurs, les recettes, défaire des mythes, transmettre des données vulgarisées, mettre en évidence l’importance de l’industrie de la pêche au Québec, parler des aspects des différents métiers susceptibles d’attirer une relève», lance Mme Marquis.

Selon elle, l’enjeu de relève est particulièrement important: «Si les Québécois ne prennent pas la place, il va y avoir des investissements étrangers. Qu’est-ce que ça veut dire pour nous? Est-ce que l’État a un rôle à jouer? Peut-on se réapproprier le fleuve sans pêche commerciale? Des groupes de citoyens pourraient-ils descendre des cages à homard dans l’eau? Donnerait-on accès à la ressource à des groupes alimentaires?»

Parmi les autres hypothèses explorées pour permettre une réappropriation des ressources, Mme Marquis parle de témoignages de pêcheurs, d’une approche artistique, de livres pour enfants, d’expositions, de bandes dessinées. «On a un beau carré de sable pour continuer de travailler sur le fleuve. On a rencontré des représentants du MAPAQ qui sont très intéressés par nos résultats. On va observer leurs programmes de financement, approcher aussi nos bailleurs de fonds habituels. Avec les ressources qu’on a amassées, on peut aussi les mettre entre les mains de gens qui vont produire quelque chose qui va servir à développer les communautés», dit-elle en ajoutant que les données colligées deviendront publiques.

Un marché à conquérir

Selon Marie Marquis, il y a une place importante pour le marché des produits du Saint-Laurent au Québec. Mais il y a du travail à faire. «Il faut se préparer. Utiliser des outils comme l’émission L’épicerie et le site du MAPAQ pour informer les citoyens notamment sur le sébaste qui s’en vient. Mais plus on va développer des sources d’information, mieux on va préparer les Québécois à redécouvrir ces ressources-là. Il faut que manger du poisson soit aussi valorisé que manger des produits transformés notamment auprès des enfants», dit-elle.

Selon elle, le travail doit se poursuivre jusque dans les familles. «Il faut mettre en évidence le prétexte de corvée de transformation de ces produits-là aussi, pour un rapprochement intergénérationnel; le partage de repas, c’est bien au-delà des bénéfices nutritionnels.

Aux Îles-de-la-Madeleine, les congélateurs sont remplis de la ressource. Ils ont le réflexe de s’approvisionner et de bien protéger la ressource. Mais ailleurs, on a besoin d’information sur la mise en conserve. Il y a un regain dans les milieux urbains pour la mise en conserve de produits de jardinage. On pourrait l’appliquer aux produits de la mer. Mais les gens veulent savoir comment le faire de façon rigoureuse et sécuritaire.»

Un exemple concret en train de voir le jour inspire la chercheure: «À Cap-Chat, il n’y a plus d’épicerie. Un marché public avec des produits du terroir est né. Il y a une ouverture aux pêcheurs, à tenir des ateliers avec des chefs, il y a fort à parier que ça va se concrétiser l’an prochain.» Celle-ci parle également de possibles mises sur pied d’initiatives d’achat local sur internet dans différentes régions.

Il reste à faire le tri dans les idées, dans les projets potentiels, rappelle-t-elle. «Qu’est-ce qu’il est réaliste de faire en 2 ans? On va se concentrer sur des volets spécifiques de nos données. On va aussi rendre publiques nos données pour que des partenaires puissent les utiliser dans le domaine de la santé publique, dans les organismes communautaires, etc. On a trop de projets en tête pour tous les réaliser, mais il y a des expertises complémentaires qui vont pouvoir propulser des projets à partir des données».

SOCIÉTÉ – pages 40-41 – Volume 32,5 Décembre 2019 – Janvier 2020

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