La pêche au flétan de l’Atlantique a été autorisée pour la première fois ce printemps, aux Îles-de-la-Madeleine. L’expérience se solde par des captures de 23 tonnes métriques (TM) sur une possibilité de 33,67 tonnes. La pêcherie, qui n’était ouverte que du 1er au 28 avril, visait à permettre aux pêcheurs madelinots de capturer le résiduel de poissons laissés à l’eau l’an dernier, au terme d’une saison jugée difficile. Le tonnage non capturé représentait 28 % de l’allocation globale de 120 tonnes qui leur était consentie en 2022.
«C’était un test, explique Cédric Arseneau, directeur de secteur du ministère des Pêches et des Océans (MPO). Les pêcheurs nous avaient demandé une réouverture de la saison pour la fin octobre début novembre, l’automne dernier. Mais on a dit non parce que la demande était arrivée relativement tard. Et comme on nous avait aussi demandé une pêche de printemps, on a dit qu’on analyserait la question, pour voir si c’était faisable, d’où l’autorisation annoncée pour avril.»
Chaque pêcheur admissible à la pêcherie, qui n’avait pas capturé la totalité de son quota individuel, disposait d’une semaine à l’intérieur du mois pour prendre la mer. Dix-huit détenteurs de permis ont participé à l’effort de pêche, pour un total de 14 sorties. C’est que les pêcheurs avaient le droit de faire du buddy-up, selon l’expression du MPO, c’est-à-dire de partager les frais de voyage à bord d’un seul bateau.
«Ça s’est vraiment bien passé, relate Vincent Turbide, capitaine du PIERRE CHARLES de la Pointe-Basse dont les captures variaient entre 50 et 80 livres chacune. Le poisson était là. On est allé plus au large pour le prendre. Dans les années passées on pêchait plus autour des Îles, en eau moins profonde. Mais avec le réchauffement, le flétan, qui se tient en eau froide, s’éloigne des côtes. Alors, aller plus loin au large, ça fait toute la différence! En septembre dernier, on est allé à Anticosti où, comme de raison, l’eau est plus profonde et plus froide. Ç’avait été la pêche miraculeuse!»
LIVRÉ EN NOUVELLE-ÉCOSSE
Avec des prises de 5 mille livres en 7-8 heures de pêche, le capitaine du PIERRE CHARLES assure que ses sorties en mer sont rentables, malgré la plus longue distance parcourue pour trouver les bancs de poisson. Il se désole toutefois d’avoir dû livrer ses prises à Bay St-Lawrence, au Cap Breton, où les acheteurs offraient deux fois plus d’argent que leurs vis à vis Madelinots. «Les acheteurs de Îles étaient à côté de la track, comme on dit.
Ça parlait de quatre, cinq piastres la livre et on a eu huit et plus en Nouvelle-Écosse!», affirme Vincent Turbide.
La réputée chef Johanne Vigneau, propriétaire du restaurant Gourmande de Nature, déplore cet état de fait. «On reçoit du tourisme et on n’a même pas de poisson frais, dit-elle. On n’avance pas, on recule. Je trouve ça triste.»
Même son de cloche à la poissonnerie de l’entreprise de transformation Fruits de Mer Madeleine, située sur la Pointe de Havre-aux-Maisons. Sa gérante, Élodie Rabatel, rapporte n’avoir reçu son premier arrivage de flétan qu’à la troisième semaine de juin. Il s’agissait des prises accidentelles qu’avait faites le capitaine du JEAN MATHIEU, Denis Éloquin, lors d’une sortie de pêche indicatrice au sébaste. «On espérait en recevoir plus tôt en saison, raconte Mme Rabatel. Il n’y en avait pas beaucoup, seulement 200 livres qui sont parties et deux, trois jours. Le monde en a profité. Ça été un succès!»
PÊCHER À L’ANNÉE?
D’ailleurs, les pêcheurs de flétan des Îles ont demandé en vain au MPO d’ouvrir la pêche 2023 au flétan dès le 15 mai, pour toute la durée de la saison de pêche au poisson de fond qui elle-même s’étend sur 12 mois à partir de cette date, jusqu’au 14 mai de l’année suivante. Ghislain Cyr, capitaine du BIOCK, de L’Étang-du-Nord, ne comprend pas pourquoi le ministère fasse la sourde oreille à un front uni de toutes les associations de pêcheurs du territoire en ce sens.
«Parce que chacun a un quota individuel, ça nous donnerait la chance d’y aller quand ça nous adonne, fait-il valoir. C’est ce qui se passe en Gaspésie, avec les grands palangriers et les pêcheurs de turbot; ils peuvent y aller quand ils veulent. Moi, je n’ai pas pu pêcher le flétan en avril, parce que j’étais au crabe commun. Mais j’y serais bien allé en juin, quand il y a moins de monde sur l’eau et que le prix est plus intéressant!»
«Tout le monde n’irait pas en même temps et ça ferait du bien au marché : il y aurait tout le temps du poisson frais sur le marché, renchérit Vincent Turbide. Moi je pense que ce serait super. Et ça donnerait aussi une meilleure chance aux pêcheurs. S’ils ont un an pour y aller, ils sont sûrs de trouver une fenêtre de beau temps qui leur convienne.»
Or, au moment d’aller sous presse, le MPO n’avait pas fourni d’explication sur son approche de gestion différente dans l’archipel, par rapport à ce qui se ferait en Gaspésie. Dans son plan de pêche 2023 rendu public le 13 juin, on apprend qu’il a plutôt choisi de n’ouvrir la pêche au flétan de l’Atlantique qu’en date du 13 août, et ce, jusqu’au 31 octobre. Seule concession faite aux pêcheurs madelinots, il reconduit, du 1er au 26 avril 2024, la pêche de printemps. Le total des prises admissibles est quant à lui en hausse de 25 % aux Îles-de-la-Madeleine, cette année. Il s’élève désormais à 150 TM.
LES POISSONS DE FOND – page 25 – Volume 36,3 Juin-Juillet-Août 2023
