Total Océan a enfin amorcé ses opérations commerciales au mois de juin, soit près de quatre ans après avoir lancé son projet d’usine de traitement du gras de loup-marin pour en faire une huile riche en oméga-3.
Installé au cours des mois d’hiver et du printemps, son distillateur moléculaire conçu sur mesure afin de purifier le produit destiné à la fabrication de gélules, a ainsi traité un premier lot de 1 400 livres de gras de phoque du Groenland importé de Terre-Neuve-et-Labrador. L’opération a duré trois semaines, précise François Gaulin, co-président de l’entreprise. «Ça a bien roulé, se félicite-t-il. Tout s’est déroulé exactement comme prévu!»
La saison 2021-2022 est cependant atypique pour Total Océan, puisque son cycle annuel de production doit normalement s’étendre d’octobre à mai. De plus, M. Gaulin explique que son usine, située sur la Pointe de Havre-aux-Maisons, est déjà tout équipée pour délarder des peaux. «Mais on n’a pas acheté de bêtes du côté des Îles, cet hiver, parce qu’on n’avait pas encore de capacité de stockage. Il nous reste encore des aménagements à faire pour ça, dans le local à côté [auparavant occupé par le chantier naval Léo LeBlanc et Fils].»
TROIS FILTRATIONS
Après le délardage des peaux de phoque, le gras est broyé. Il en résulte une séparation du liquide de la partie fibreuse, explique Louis Boutin, technicien de procédé chez SiliCycle, une entreprise de Québec qui est actionnaire majoritaire de Total Océan. «On filtre une première fois [dans ce qu’on appelle le filtre-presse] pour les séparer complètement et on garde l’huile. La partie fibreuse, c’est la seule perte qu’on a dans tout le processus. Mais c’est quand même minime, parce que c’est en grande majorité de l’huile». François Gaulin prévoit que cette partie fibreuse du gras de loup-marin, qui est ainsi détournée vers le Centre de gestion des matières résiduelles, comptera pour moins 5 % des volumes annuels qui seront traités à l’usine.
Suivant cette étape de séparation dans le filtre-presse, l’huile est soumise à deux autres étapes de filtration, dont l’ultime est celle de la distillation moléculaire. «Là encore, quand on passe au distillateur, il y a une légère perte de volume, indique M. Boutin. Mais on ne parle que des contaminants, alors ça ne présente qu’une fraction très minime».
La capacité du distillateur moléculaire à éliminer toute trace de contaminant permettra d’ailleurs à Total Océan de s’approvisionner en gras de phoques gris adultes. Ce sera une première dans l’industrie, affirme le coprésident de l’entreprise. «Personne n’est capable de faire ça à part nous, parce que les contaminants sont trop élevés dans ces bêtes-là, explique M. Gaulin. Donc, tout ce qu’on voit sur le marché ça provient de jeunes phoques. Et, puisque nous serons capables prendre le phoque adulte, on va pouvoir commencer plus tôt en saison et ça va nous donner une belle marge.»
PIÈCE MAITRESSE
Acquis au coût de 1 M$, le distillateur moléculaire constitue la pièce maîtresse de l’usine de transformation représentant un investissement global de 3 millions $, souligne avec fierté François Gaulin, «Sur le marché, la filtration se fait surtout par charbon activé, indique-t-il. Et quand on prend une population de jeunes phoques qui ont à peine pris l’eau, leurs contaminants sont très faibles et ça se règle assez bien. Mais plus le phoque vieillit, plus il va se nourrir dans le Saint-Laurent, plus il va accumuler des contaminants dans son gras et moins c’est possible avec ce type de procédé d’amener ces contaminants sous les niveaux minimums permis par Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Avec le distillateur, on est capable d’avoir une qualité d’huile qui est de beaucoup supérieure à ce qu’il y a sur le marché, même en prenant une population de phoque adulte.»
De plus, le distillateur moléculaire permet non seulement de résoudre ce problème de bioaccumulation de métaux lourds dans le gras des phoques gris adultes, il permet aussi aux chasseurs de cibler des animaux beaucoup plus gros et donc à plus fort rendement en tissus adipeux. «On pense que ça va être beaucoup plus rentable pour les chasseurs, affirme M. Gaulin. Et ça va être beaucoup plus écologique aussi, parce qu’on va s’inscrire dans un contrôle de population plus important que si on ne chassait que les jeunes phoques.»
Dès la prochaine saison 2022-2023, Total Océan vise à quintupler sa production initiale des dernières semaines, pour atteindre un volume annuel de 200 000 livres d’huile de loup-marin. Un appel de candidatures, pour l’embauche d’une dizaine de personnes d’octobre à mai, sera bientôt lancé. François Gaulin n’exclut pas de faire appel à des travailleurs étrangers temporaires, au besoin.
TRANSFORMATION – Volume 35,3 – Juin-Juillet-Août 2022
